PARLER DE NOTRE CONJOINT EN FAMILLE : POURQUOI ? COMMENT ?

PARLER DE NOTRE CONJOINT EN FAMILLE : POURQUOI ? COMMENT ?
Témoignages à 3 voix

Loin d’être une conférence, voici quelques témoignages personnels tentant de donner des pistes pour répondre à cette double question « pourquoi » et « comment ».

« Pourquoi de Marielle » : axé sur les ados, les grands jeunes, la famille du conjoint décédé (frères, sœurs etc.)
Bonjour, je m’appelle Marielle et je suis veuve depuis 12 ans. Nos 4 garçons avaient entre 22 ans et 18 ans tout juste lorsque leur père est décédé après 7 mois de maladie. Ils étaient étudiants ou lycéen. Les parents de Bruno étaient décédés depuis 3 ans et 1 an. Sa mort a donc été aussi un traumatisme pour ses 9 frères et sœurs. Moi j’avais 53 ans. Pourquoi parler de Bruno en famille ?

• Pour qu’il continue à vivre pour et à travers nous, nos enfants et tous ceux qui l’ont connu. Et que son image perdure et s’enrichisse des perceptions, des souvenirs des uns et des autres.
• Pour dire aux enfants que leur père est présent –j’y crois-, qu’il continue à veiller sur eux et qu’ils peuvent lui parler. J’essaie de les encourager dans ce sens, à petites touches.
• Pour aider nos enfants en pleine construction à mieux se connaître : ah oui je ressemble à papa ou à maman pour tel trait de caractère (qualité ou défaut), ou telle caractéristique physique (je suis sportif comme papa ou maman ou j’ai besoin de sommeil comme… etc). Sans idéaliser le parent disparu, pour ne pas en faire un modèle inaccessible. Mais ça permet d’être relié. D’ailleurs je crois que tous les enfants ont besoin de cela, que les parents soient vivants ou non !
• Mes enfants sont aussi désireux d’en savoir plus sur notre histoire de couple, qui est quelque part aussi leur histoire, ou du moins qui les a concernés au 1er chef. Surtout au moment où eux aussi démarrent une vie de couple. Ils ont besoin d’une parole en vérité qui les aidera plus que si j’idéalise. Ils me posent des questions auxquelles j’essaie de répondre.
• Par rapport aux frères et sœurs de mon mari, l’évoquer à travers des anecdotes rappelle qu’on fait partie de la même famille et renforce les liens, ce qui est important pour eux mais encore plus pour mes enfants et moi-même. Et puis ils complètent ce qu’on sait de Bruno, car ils l’ont tout de même côtoyé seul pendant 35 ans !
• Enfin, ça fait du bien de parler de mon conjoint, au-moins à moi !

« Pourquoi d'Odile » : axé en tant que grands-parents sur les petits-enfants, et aussi la transmission de la foi et l'espérance de la vie éternelle
J’ai perdu mon mari tragiquement après 37 ans de mariage. En tant que mère de 4 enfants et grand-mère de 12 petits-enfants, j’estime indispensable de dire que j’aime encore mon mari depuis son décès et qu’il me manque, tout comme il leur manque.
• Je me sens habitée par la présence de mon époux et désire la transmettre à mes petits enfants lors d’un jour important de leur existence (1ère communion ou profession de foi); je désire témoigner qu’il vit encore en moi, d’autant que je crois en la communion des Saints ;
• Je désire continuer à le faire vivre comme membre de la famille auprès de ceux qui l’ont connu mais aussi le faire connaître à ceux qui ne l’ont pas connu (un gendre) ou sont nés après son décès ; une de mes filles a même demandé à ses frère et sœurs, pour perpétuer le souvenir de son papa, de trouver une qualité ou talent de celui-ci ou comment l’évoquer auprès de son mari (qui ne l’a pas connu) et de ses propres enfants ;
• Je désire transmettre les valeurs qui animaient mon mari tout autant que ses qualités et actions et non pas seulement en faire un rappel. Je pense ainsi faire vivre mon conjoint qui avait un profond souci de la transmission à tous niveaux.

« Pourquoi » de Quidi : axé sur la transmission en cas de deuil précoce notamment, et aussi envers des nouvelles personnes arrivant dans la famille : valeurs ajoutées et petits-enfants

Voici quelques réflexions et expériences accumulées depuis 12 ans après la mort de mon mari suite à une maladie incurable selon l’expression. Eric avait 51 ans, pour moi ce n’est donc pas un veuvage aussi précoce que certains mais 51 ans, pour moi, pour lui c’était bien trop tôt, et d’ailleurs c’est toujours trop tôt et toujours un déchirement quand notre compagnon de vie quitte la vie terrestre même déjà très âgé.
Il me semble utile de distinguer deux contextes bien différents : le premier c’est quand « ma famille me parle de mon mari », et le deuxième c’est quand moi, « je parle de mon mari » : ces deux situations bien différentes appellent des « pourquoi » et des raisons bien distinctes.

Commençons par le premier contexte : « ma famille me parle de mon mari »

Dès les premiers jours et premiers mois après le décès j’ai eu besoin qu’on me parle de mon mari, cela m’a tout de suite fait du bien. En préparant ce témoignage, je me suis posé la question : pourquoi ? Car je sais bien que certains ne ressentent pas ce besoin et au contraire évitent d’en parler car cela peut leur faire du mal.
• En fait dès le début j’ai ressenti une peur de l’oubli. Pas la peur de l’oubli immédiat bien sûr tellement le chagrin est immense mais je me projetais déjà dans l’avenir. Je faisais des calculs : d’après l’âge moyen des décès, j’aurais « statistiquement » plus de temps à vivre sans mon mari qu’avec mon mari et encore on a eu la joie de se connaitre très jeunes ! Donc dès sa mort, voilà pourquoi j’avais envie et besoin qu’on me parle d’Eric, pour que l’habitude soit prise dès le début.
• Et puis par ailleurs, cela me faisait du bien de sentir que mon entourage se rappelait – de lui-même, sans que j’aie besoin de leur rappeler – que je vivais une situation toute particulière celle de n’être à jamais plus en couple avec Eric : en y réfléchissant j’avais le sentiment d’être moins seule avec mon deuil et loin de m’attrister plus, cela me réconfortait que mes proches osent s’aventurer d’eux-mêmes à me parler de mon mari décédé.

L’autre contexte : « je parle de mon mari »

• C’est une tout autre situation que précédemment, car c’est moi qui suis à l’initiative pour évoquer mon mari. A qui ? A mes enfants bien sûr en priorité : effectivement nous avons eu la joie d’avoir cinq enfants, encore étudiants ou scolaires et à la maison, vu l’âge du décès de leur papa. Pourquoi je voulais leur parler de mon mari, de leur papa ? Marielle et Odile vous ont partagé tous leurs « pourquoi » et nombre d’entre eux rejoignent les miens, je ne vais donc pas y revenir, surtout que je vais rajouter quelques autres aspects.
• S’il est un « parler en famille » tout particulier c’est celui qui concerne le veuvage très précoce avec des enfants très jeunes, si jeunes qu’ils ne pourront avoir aucun souvenir de leur maman ou de leur papa décédé. Je parle d’ici d’aucun souvenir au sens souvenir de leur propre mémoire : alors je peux évoquer ici un autre témoignage, le mien également, car ma maman s’est retrouvée veuve à 33 ans avec 2 très jeunes enfants de 4 ans et 6 ans et un bébé sur les bras. Le bébé de 1 an et quelques mois c’était moi - et donc je n’ai jamais eu bien sûr aucun souvenir de mon papa. Dans cette situation, tout est à construire dans la mémoire de l’enfant, et on le verra tous les moyens et les « comment » sont à ajuster selon chacun. Evoquer concrètement ce parent qu’il n’a pas connu va permettre au jeune orphelin de mieux comprendre d’où il vient, de ne pas chercher où est son papa ou sa maman, de faire la différence avec un parent séparé, divorcé ou absent, de réaliser aussi que son parent survivant a eu une vie de couple, a aimé et a été aimé.
• Une autre bonne raison d’en parler pour nous chrétiens, comme cela a été dit par Odile et Marielle, est de pouvoir témoigner dès que possible, à un très jeune enfant que son père ou sa mère, malgré son absence terrestre, est présent à ses côtés, et l’accompagne : en ce qui me concerne heureusement ma mère n’a jamais trop utilisé le mot « protège » et a préféré ce mot « accompagne » car je crois que sinon en cas de coup dur j’aurais eu l’impression d’être abandonnée par mon papa déjà au Ciel. Dans la deuxième partie je reparlerai de mon expérience d’enfant orphelin à ce sujet.
• Il est aussi une autre circonstance où l’on a envie de parler plus intensément de son conjoint, c’est lorsque les enfants démarrent une vie de couple, et qu’alors on vit la nouvelle expérience de voir la famille commencer à s’agrandir après la mort de son conjoint : un fort besoin se fait jour alors, celui d’évoquer un minimum notre conjoint avec ceux qui partagent désormais la vie de nos enfants, et celui bien sûr d’évoquer leur grand-parent à nos petits-enfants quand ils commencent à grandir.
• Arrive alors un nouveau besoin bien légitime de faire connaitre aux nouveaux arrivants ce qu’était notre si chère moitié, besoin de transmission à nouveau qui refait surface, sur une page blanche, et qui parfois se heurte au ressenti de nos enfants devenus jeunes adultes : pour eux parfois, surtout au début de leur relation de couple, ces souvenirs qu’on voudrait évoquer, c’est une histoire un peu ancienne, et ils ne ressentent bien sûr pas ce besoin aussi intensément que nous. Si on le comprend bien, ce n’est pas toujours facile de s’adapter ni facile de l’accepter !

Nous voici au terme de cette première partie sur les « pourquoi », nous avons vu, entraperçu combien nombreuses et variées sont les bonnes raisons de parler en famille de notre conjoint décédé, et chacun ici a ses propres besoins et désirs, mais évidemment nous avons tous vécu des situations où en parler c’est difficile, voire même impossible malgré notre envie, des moments où en parler a fait plus de mal que de bien, à nous-mêmes ou à l’un de nos enfants ou nouveau venu dans la famille…


Après avoir partagé nos « pourquoi », poursuivons nos témoignages avec la question suivante : « comment parler de mon conjoint en famille »

« Comment » de Marielle


• Le comment était très différent au début par rapport à maintenant après 12 ans de veuvage. Au début les enfants étaient écorchés vifs : certains ne supportaient pas que je parle de leur père alors que d’autres le souhaitaient. Je naviguais sur des œufs. Mon dernier, qui s’était retrouvé seul à la maison car les autres étudiaient dans d’autres villes, se prenait en permanence de plein fouet que papa était mort. Déjà ce n’est pas facile d’être le petit dernier avec papa et maman, mais avec seulement maman (ou papa), horrible ! J’en ai pris plein la figure, par crises, pendant plusieurs années. Pour m’aider à supporter cette situation, une amie psy m’a un jour expliqué que l’enfant cherche à protéger le parent qui reste seul, tout en lui reprochant inconsciemment d’être encore en vie, lui. C’est donc très compliqué à gérer pour le jeune ! De le savoir m’a beaucoup aidée.
• S’il ne fallait pas que je parle trop de leur père à mes enfants, ils étaient néanmoins tous avides de ce que pouvaient leur raconter des amis de Bruno.
• Individuellement, c’était plus facile. C’était également vrai pour les frères et sœurs ou parents de Bruno, et aussi pour moi qui devais gérer ma propre souffrance. Pour ma parole à moi, je profitais souvent d’un questionnement sur un problème à résoudre en disant : comment papa faisait-il ou aurait-il fait ? Ca passait et moi j’étais contente de l’avoir évoqué. Mais je ne devais pas leur rappeler en permanence le décès de leur père en leur en parlant trop ou en mettant des photos dans chaque pièce. Un peu, pas trop pour ne pas les plomber.
• Ce qui est difficile, c’est que le rythme de la souffrance est très différent d’une personne à l’autre. D’où la difficulté d’être ajusté avec chacun, surtout lorsqu’ils sont ensemble ! Il y a des jours où ça va et des jours où ça ne va pas. Ce qui fait plaisir à un moment donné sera très pénible à un autre.
• Pour les anniversaires des enfants qui ont suivi la mort de leur père, j’ai donné à chacun un objet lui ayant appartenu : trousse de toilette pour l’un, bidon pour le ski de fond pour un autre, montre…
• Par moments les enfants étaient surpris voire peinés par la façon dont les oncles et tantes du côté de leur père n’en parlaient pas alors qu’ils évoquaient leurs parents (ex dans une prière familiale, seuls les grands-parents avaient été évoqués). Par pudeur ou peur de nous faire souffrir ? Je ne sais pas.
Mais ça m’a amenée à expliquer aux enfants (après m’être raisonnée moi-même) que nous n’étions pas les seuls à souffrir et que les frères et sœurs de papa avaient aussi le droit de souffrir à leur façon. Papa ne nous appartenait pas, ni la souffrance de l’avoir perdu ! Mais concrètement, à la Toussaint, nous n’allons plus au cimetière au même moment que les oncles et tantes.
• Aujourd’hui c’est beaucoup plus apaisé. Mais n’empêche, j’hésite encore à faire dire une messe pour Bruno en y conviant mes enfants car c’est trop émotionnant pour l’un d’entre eux. J’hésite aussi à envoyer un petit texto le jour de son anniversaire ou de son décès, car je crains toujours de les plomber. Et pourtant j’en meurs d’envie ! Je demande souvent à l’Esprit Saint de m’inspirer les bonnes paroles ou les bons gestes, mais je crois qu’il faudrait que je leur demande aussi à eux si ça leur fait plaisir ou non. C’est ce que j’ai réalisé et décidé en réfléchissant à ce topo.


« Comment » d'Odile

Cela évolue avec le temps car au début de mon veuvage, je ne supportais pas de regarder des photos de mon mari disparu dramatiquement.
Désormais je suis enchantée lorsque mes petits enfants me demandent de regarder les albums et évoquer les moments heureux que nous avons vécus ensemble.
En évoquant :
• mes souvenirs d’engagements communs avec mon mari : dans les Equipes Notre-Dame, à la paroisse, préparation des jeunes au mariage ….
• les souvenirs de voyages, fêtes ou anniversaires ;
• les qualités de mon mari : son investissement professionnel et la passion qu’il y mettait à l’écoute permanente des équipes qu’il animait (il était encore en activité parce qu’il n’avait que 60 ans), ses hobbies ;
En tant que croyante,
• je fais dire une messe à son intention le jour anniversaire ou dimanche proche de son décès (en présence de mes enfants et petits enfants qui peuvent se rendre disponibles et qui font tout leur possible pour m’entourer). La date de son décès est d’ailleurs citée par mes enfants dans un calendrier perpétuel et j’apprécie de recevoir ce jour-là un petit message de soutien de leur part ;
• J’ai le grand désir de m’appuyer sur la protection (communion des Saints) que mon mari nous apporte (à moi-même et à tous ceux qui lui demandent) par sa présence spirituelle et en fais part à mes enfants et petits enfants ; je l’ai très souvent évoquée et ressentie au moment de prendre une décision ;

« Comment » de Quidi

Marielle et Odile vous ont partagé leur façon de parler en famille, c’est à mon tour et vous ne serez pas étonnés qu’il y ait des points communs, comme avec chacun de vous selon votre propre expérience.
Je trouve que la question « Comment en parler » suscite plein d’interrogations :

« Comment » est lié avec le « Quand » : Quand parler de notre conjoint ?

Comme cela a déjà été souligné, le bon moment est essentiel surtout si c’est nous qui sommes à l’origine de la conversation, et si nous avons un message à faire passer. Parfois on se sent investi de transmettre un avis, une pensée que notre conjoint nous semble-t-il n’aurait pas manqué de dire à l’un ou l’autre de nos enfants…
Si c’est un message important alors cela vaut le coup de créer la circonstance, et essayer comme tout bon alpiniste de repérer la bonne « fenêtre météo », et savoir attendre…
D’autres fois au contraire, pour parler de son conjoint, cela peut se faire à l’improviste : il va s’agir de profiter de l’instant T, ou encore, de nos jours, certains évoquent le « Kairos », une image assez parlante : Kairos est un Dieu grec qui ne porte qu’une touffe de cheveux sur l’avant de sa tête, et comme il a des ailes aux pieds, il passe très rapidement à proximité de nous : alors il faut le saisir très vite dès le début, car si on hésite, comme il est chauve à l’arrière, on ne pourra pas le rattraper, même de dos.

Si je vous raconte cela c’est qu’il faut être parfois réactif et saisir des occasions notamment avec les jeunes enfants quand ils nous posent une question sur notre conjoint, même si pour nous ce n’est pas le moment. J’aime à me dire aussi, avec confiance, que ce Dieu Kairos sera plein de compassion envers nous et repassera quand même un autre jour !

« Comment » parler de sujets qui me semblent « tabous » ou trop délicats ?
Il est des sujets faciles à évoquer d’autres beaucoup moins… Dans les échanges en groupes de parole nous sommes nombreux à partager des sujets que l’on n’ose pas évoquer avec notre propre famille : la dernière journée de son conjoint, le moment de sa mort, des souvenirs intimes, des pardons en attente, la transmission de la Foi de notre conjoint : cela souligne tout l’intérêt des groupes de parole d’Espérance et Vie qui nous permettent de nous « entrainer » à parler de notre conjoint, en attendant le moment où on osera évoquer ces sujets en famille.

« Parler » en évitant le portrait trop idéaliste et trop figé…
• Je pense que je ne suis pas la seule ici à me poser la question « Comment mon conjoint aurait fait ? » ou encore « qu’aurait-il dit ou pensé » ? puisqu’on a envie parfois d’être sa voix sur terre ! Eric étant mort assez jeune il me semble important si je veux qu’il reste vraiment vivant en moi, en mes enfants, petits-enfants d’avoir un juste équilibre : transmettre ses valeurs, ce qui lui tenait à cœur, ses petites habitudes, ses gouts et ses couleurs etc. et en même temps ne pas en faire un portrait « figé » car lui aussi, tout comme moi, aurait évolué au fil des ans.

• Quelques petits exemples concrets : si on parle politique en famille, je peux partager les pensées d’Eric mais en soulignant que, qui sait, il aurait peut-être changé d’opinion vu que le monde lui aussi change ! Si je raconte ses petites habitudes, comme avoir horreur de s’arrêter dans une station-service pour prendre un café, je prends le soin de dire qu’avec l’âge il aurait peut-être fini par avoir plaisir à s’y arrêter ! Oui vraiment, la ligne de crête est fine, pour dresser un portrait vivant et en même temps transmettre avec fidélité !

• D’autres paroles qui demandent à trouver un juste équilibre c’est d’arriver à transmettre un portrait réaliste : notre conjoint ne devient pas « saint » d’un coup par sa mort, et il restera beaucoup plus vivant auprès de nos enfants si on partage aussi ses défauts, ses zones d’ombres.

Parler de son conjoint « sans en parler » : le beau rôle des photos, vidéos, écrits, objets…

On le dit souvent : un objet peut « parler », parfois une photo vaut mieux qu’un long discours, et puis parfois c’est plus facile d’écrire…

• Un objet mis en évidence peut être l’occasion d’évoquer une activité favorite de son conjoint, ou ses études, ou une partie de sa vie… Ce peut être aussi un objet que l’on donne à l’un des enfants si l’on sent que c’est le bon moment : c’est un geste discret, un souvenir qui peut aider à la parole, voire la remplacer pour un temps donné
• Au sujet des photos, en tant qu’orphelin, encore une petite expérience à vous partager : en ce qui me concerne j’ai manqué de photos facilement visibles de mon papa, je crois que c’était trop difficile pour ma maman de le voir en photo, peut être aussi est-ce dû à l’époque où les photos étaient plus rares, mais souvent quand j’étais toute jeune, je me disais que je n’arriverais pas à reconnaitre mon papa si je le croisais par miracle dans la rue… Quoiqu’il en soit à la mort de mon conjoint j’ai fait totalement l’inverse, j’avais besoin d’une grande photo dans chaque pièce. C’est un besoin qui évolue, mais dans tous les cas, essayez de voir ce qui va vous faire du bien, à vous, et aussi à vos enfants, votre famille…
• L’écrit peut être aussi un bon moyen de transmission, permettant de « rendre présent » l’absent : je trouve cela confortable, et rassurant par rapport à la mémoire qui peut s’estomper… Quand ma famille a commencé à s’agrandir, j’ai eu envie que les valeurs ajoutées de mes enfants connaissent un minimum mon mari, alors j’ai réalisé un livret mêlant des photos avec une « bio express » comme on dit, et quelques infos sur ses différents jobs, ses activités favorites : j’ai eu plaisir à transmettre de cette manière « une part de mon mari » à ceux qui ont rejoint notre famille, et à ses filleuls qui l’ont si peu connu, et j’imagine aussi que ce livret sera apprécié par mes petits-enfants quand ils sauront lire !

En cas de mort précoce : des questions bien spécifiques…

• Revenons justement au cas des tous jeunes enfants orphelins, je voulais redire un mot sur le contenu des paroles qui m’ont fait du bien : comme je vous l’ai dit tout à l’heure, les paroles de ma mère qui m’ont fait comprendre que même absent mon papa m’accompagnait, mais qui heureusement ne m’a jamais fait croire que du haut du Ciel mon papa pouvait me protéger « de tout » : les mots sont à choisir avec délicatesse pour les jeunes enfants. Ceci dit c’est à chacun de s’exprimer avec sa propre sensibilité, sa propre Foi, le principal est de « croire » en ce qu’on transmet à ses enfants petits pour pouvoir bien leur expliquer ce rapport à nos « attaches célestes ».
• A ce sujet, une amie veuve très jeune m’a dit aussi l’importance que l’orphelin ne se croit pas accompagné au sens « surveillé non-stop » car là aussi dans la vraie vie un parent, autant aimant qu’il soit, n’est pas 24h sur 24 h avec son enfant qui de plus a droit à son jardin secret.
• Des enfants jeunes n’ayant pas vu leur parent en couple ont besoin aussi qu’on leur raconte des disputes, des désaccords pour ne pas se faire une image trop idéale de la vie à deux et bien se préparer à leur vie d’adulte.

Comment rendre plus concret son conjoint devenu grand-parent après sa mort ?
Je vous partage un conseil que j’avais reçu d’un ami dont l’épouse était décédée bien avant que leur premier petit-enfant ne naisse : cela peut rendre plus vivant de donner aussi un nom de grand-parent au conjoint décédé.
Alors à l’annonce du premier petit-enfant j’ai eu envie de suivre ce conseil, j’ai exprimé mon souhait et nous avons cherché en famille quel serait mon nom de grand-mère mais aussi, en même temps, nous avons cherché quel serait le nom de grand-père de mon mari : c’est peut-être un petit détail mais « nommer c’est faire exister », et j’espère que là-haut ce nom de grand-père lui convient !

Avec ce dernier exemple cela me permet aussi de redire combien c’est à nous de repérer ce qui nous fait du bien et ensuite d’oser dire notre souhait à nos enfants, nos frères et sœurs, à la famille de notre conjoint, bref à tous ceux qui nous sont très proches mais qui ne savent pas si on a envie (ou pas ?) de parler de notre conjoint, ni quand, ni comment : aidons les, donnons-leur des indices, et n’oublions pas aussi de leur faire part de nos évolutions, car comme on l’a vu notamment avec Marielle nos attentes peuvent radicalement changer avec le temps !

En guise de conclusion : rappel de l’essentiel… et un pas de plus

Rappel de l’essentiel
: Alors pour « parler de son conjoint en famille », la règle principale, s’il fallait n’en retenir qu’une ce serait : « qu’il n’y a pas de règle »

 Pas de règle donc… Mais rappelons-nous que cela peut aider de bien distinguer ces deux questions : tout d’abord « comment puis-je parler de mon conjoint à ceux qui ont eu un lien d’amour familial avec lui et à ceux qui ne l’ont malheureusement pas connu, et puis l’autre interrogation : « quand et comment j’aimerais qu’on me parle de mon conjoint » notamment car cela m’aide à conserver vivant cet amour qui me réconforte.

 Dans ces deux interrogations, nous avons vu que c’est bien utile de prendre conscience que notre désir, et celui de nos enfants et de nos proches va évoluer dans le temps, au gré d’un événement (un autre deuil, ou au contraire la famille qui s’agrandit) ou tout simplement au gré du temps qui passe, ce temps qui passe et qui n’enlève pas la douleur mais qui la transforme et ce faisant transformera aussi nos réactions.

 Rappelons-nous également que notre désir d’en parler et le désir de notre famille ne coïncident pas forcément au même moment et pour utiliser un terme terre à terre, on pourrait dire que « l’offre ne correspond pas toujours à la demande » , notamment quand nous ressentons le besoin de parler à l’un de nos enfants et que nous avons un sentiment d’échec, ou quand un proche croit nous faire plaisir et au contraire nous « plombe » notre journée en nous refaisant penser à la mort de notre compagnon de vie.

 Alors comme on l’a vu, tout cela fait que « parler en famille de son conjoint » peut s’avérer une belle aventure, mais parfois une aventure délicate, alors mieux vaut préparer le terrain en exprimant son désir et en demandant à ses proches leur souhait… sans oublier au fil des mois ou des années de réactualiser ces souhaits autant pour soi que pour nos proches.

Un pas de plus pour nous aider : parler de notre conjoint en famille peut s’apparenter comme on vient de le voir à une aventure délicate, il nous semble - et c’est une grâce - que cela peut devenir aussi une aventure spirituelle : c’est « le pas de plus » que nous vous proposons maintenant, ici à Lourdes (ou ailleurs !).

 Oui « parler de son conjoint en famille » peut nous embarquer dans une aventure spirituelle, car cela nous met en lien avec notre conjoint au Ciel, et c’est peut-être typiquement le moment où l’on peut demander de l’aide intérieurement, selon notre propre sensibilité : de l’aide à notre conjoint - et en tant que chrétien - à l’Esprit Saint, au Saint Patron de notre conjoint… la liste n’est pas exhaustive vous vous en doutez, à vous de choisir ! Et comme nous sommes à Lourdes n’oublions pas que la Vierge Marie peut aussi avoir un beau rôle à jouer pour nous aider à trouver les bons mots, les gestes ajustés, et surtout le bon moment : ce kairos ou cette fameuse « fenêtre météo » dont j’ai parlé tout à l’heure.

 Comme toute aventure bien préparée, il y a de belles chances qu’elle se déroule bien, mais peut être aussi comme toute aventure, la réussite ne sera pas forcément au rendez-vous. Alors dans ce cas, rien de mieux que de poursuivre notre démarche spirituelle : se tourner à nouveau vers le Ciel peut nous aider à avoir plus de recul et moins d’aigreur face à ceux de notre famille qui semble oublier notre conjoint, face aux mots qui font mal ou encore face aux mots qui brillent par leur absence… Alors, se tourner vers le Ciel peut nous aider à pardonner aux membres de notre famille qui nous ont peiné par leur maladresse ou leur indifférence, si notre pardon humain tarde à venir, Dieu notre Père nous y aidera…

 Se tourner vers le Ciel ne remplace pas la parole en famille, mais peut combler un vide, une absence de parole : je dis cela en pensant à certains parmi nous qui n’ont pas - ou plus- de famille sur terre pour « parler de leur conjoint ».

 Et puis nous constatons tous aussi que le temps qui passe fait que sa voix, son visage et certains souvenirs s’estompent et ce faisant une part de notre conjoint échappe à la parole, tout comme certains souvenirs avec notre compagnon de vie qui sont si intimes qu’on ne peut pas en parler en famille : alors pour finir, voici une petite citation poétiquement très réconfortante :
« Il y a des souvenirs qui ne demandent pas la mémoire, on les porte en soi comme un parfum qui vous colle à la peau, tant les notes de cœur et de fond ont enivré l’âme d’une empreinte olfactive à jamais… ». Pour le thème qui nous a rassemblé aujourd’hui on pourrait même dire : « Il y a des souvenirs qui ne demandent pas la Parole, on les porte en soi comme un parfum qui vous colle à la peau, tant les notes de cœur et de fond ont enivré notre âme (…)

Cette citation nous rappelle de manière poétique cette « présence » qui est en nous… Alors même si « parler de son conjoint en famille » est bienfaisant pour tous, soyons également réceptifs au bienfait de ce « parfum d’amour » qui nous imprègne et qui parle à notre cœur et qui parle aussi au cœur des membres de nos familles et au cœur de tous ceux qui ont aimé notre conjoint et ont été aimé par lui…


Après la lecture de ces témoignages…

• De ces témoignages et quelques pistes, qu’ai-je envie de retenir ?

• Qu’est-ce qui me permettrait de faire un pas de plus pour que je parle plus facilement de mon conjoint, mais aussi que j’accueille plus paisiblement ce qu’on me dit de lui ?

• Quelle idée concrète, pour moi, me vient à la suite de ces témoignages ?

• Parler en famille de son conjoint c’est vraiment une histoire de relation, une histoire entre nous-mêmes et une autre personne bien précise à un moment donné bien précis. Nous vous proposons de confier ici à Lourdes (ou ailleurs….) une intention bien spécifique : inscrire les noms d’une ou des personnes avec qui vous aimeriez plus parler de votre conjoint, celles avec qui vous avez du mal à parler, ou celles qui avec qui vous n’osez pas parler de votre conjoint – peut être sur un sujet bien précis -, et inscrire aussi, pourquoi pas, le nom d’une ou des personnes qui vous attristent ou vous blessent par leur maladresse ou leur indifférence, et demander ainsi de l’aide pour aider à leur pardonner.

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