Le veuvage questionne
Qu’y a-t-il derrière les quatre lettres V E U F ou les cinq lettres V E U V E ? Ce sont des mots qui sonnent mal, et que bon nombre d’entre nous ont eu, ou ont encore, du mal à prononcer.
Le mariage fait rêver. On répond à une demande, on s’y prépare, on s’impatiente. L’engagement conjugal et la fête réjouissent les invités.
A l’inverse, on ne choisit pas d’être veuf ou veuve ; on le devient parce que l’être aimé est mort ; c’est toujours trop tôt d’être séparés quand on s’aime. Pour les personnes célibataires ou en couple, comme pour nous auparavant, le veuvage est sombre et mystérieux ; il n’attire pas.
Le « survivant » pénètre alors dans un univers inconnu, qui se dévoile quand il y entre. Chacun le découvre pas à pas, à sa manière et à son rythme : isolement et manque, charge et incompétence, incompréhension, ristesse et regret, peur et honte parfois... et aussi une étrange liberté, des questions qu’on ne s’était jamais posées, des relations et des compétences nouvelles... Nos réactions changent et certaines nous surprennent : nos priorités, notre regard sur le monde et sur les personnes évoluent.
Notre veuvage questionne l’entourage : enfants, parents, fratrie, collègues, voisins, amis, connaissances paroissiales ou associatives.
Nos réactions sont scrutées et les préjugés vont bon train. La présence ou non de larmes, leur fréquence et leur abondance servent aux autres de curseur pour évaluer l’amour que nous avions pour notre conjoint et notre capacité à exister malgré l’absence ; elles justifient à leurs yeux des dispositifs à mettre en place « pour que nous allions mieux », et cela entraîne bien des maladresses.
Pourtant notre veuvage n’est ni un délit ni un problème auquel il faudrait apporter une solution. Il n’est pas ne maladie qu’il faut soigner pour tenter d’en guérir. Vivre le veuvage, c’est apprivoiser la vie devenue différente et qui se révèle jour après jour.
C’est un chemin sans certitude, sans tout comprendre, avec tâtonnements, surplace et même retours en arrière. C’est chercher au cœur de ma propre histoire qui je suis et ce qui était resté enfoui en moi ; c’est découvrir ce qui m’éclaire et peut devenir force pour mon nouveau quotidien. Il me faut décider qui fuir pour ne pas m’enfermer, choisir à qui exprimer mes besoins pour m’adapter à la pénombre et partager, semaine après semaine, mois après mois, année après année, mes faux-pas, mes avancées, et parfois mes éblouissements.
Devenir veuve, veuf, c’est écouter et croire Jésus qui me dit comme à Pierre la veille de sa mort : « Plus tard, tu comprendras. » Jean 13, 7
Sylvie Simon