Faire son deuil ou vivre le deuil ?
(Edito de REFLET Octobre 2024)
Faire son deuil. Cela nous est souvent présenté comme un travail à réaliser, une tâche difficile à accomplir, une de plus qui s’ajoute à la liste de ce qu’il faut « faire » après la mort. Un temps avec un début et une fin, et où l’expression des émotions relatives au conjoint serait autorisée, pour ne plus l’être ensuite. Une période de la vie de veuf, de veuve, jalonnée d’étapes codifiées à franchir, les mêmes et dans le même ordre pour tous, pour arriver à une « réussite » et enfin « tourner la page » : il a fait son deuil, elle a fait son deuil… quand, au regard des autres, tout va pour le mieux. Les jugements vont bon train pour celle ou celui qui « a vite fait son deuil ! » Mais parfois il y a l’impatience des proches qui s’inquiètent ou s’agacent quand, selon eux, le deuil tarde à se faire… Faire son deuil comme un devoir, n’est-ce pas le piège d’une perte sèche et d’une recherche irrationnelle de substitution ?
Et s’il s’agissait plutôt de vivre le deuil ? De vivre malgré ou avec le deuil, mais de vivre. On peut être habité par les souvenirs, bons ou mauvais ; il y a du tri à faire dans la vie conjugale et c’est normal que cela prenne du temps. Il n’est pas fou de ressentir une forme de présence au-delà de la séparation biologique, et même d’y puiser de la force pour tenir debout. Certains disent acquérir au fil du temps des qualités de leur conjoint. D’autres se découvrent enfin leur identité. Tout cela est bon et normal si on ne s’enferme pas dans la tristesse, les images morbides, le regard inquisiteur du défunt, l’isolement… Vivre le deuil, c’est se disposer à ne pas rester dans la souffrance du deuil. En parler, par exemple dans un groupe de parole, est source de consolation.
Vivre le deuil, c’est faire en sorte que les liens qui ne peuvent plus exister dans le quotidien, puissent exister dans nos pensées ; et tant qu’il y a de la pensée, il y a de la vie, même si des larmes s’écoulent à certains moments : c’est une transformation qui va, petit à petit, relier et retisser les liens avec douceur et nuances. Quand on fait l’expérience que l’être aimé(e) ne disparaît pas totalement, on a moins de chagrin et il est plus facile de s’ouvrir aux autres. Alors le présent et l’avenir viennent prendre une juste place : chaque jour, une nouvelle page de la vie est à écrire.
La mort n’est pas la fin de l’histoire. Endeuillés, nous demeurons bien vivants. Le Christ ressuscité nous donne même l’espérance de retrouvailles éternelles…
Sylvie Simon